Introduction du livre "ABC de Kabbale Chrétienne"
Depuis plus de 1500 ans, notre société occidentale s’est développée sur la tradition biblique. Bien évidemment il s’agissait essentiellement du Christianisme déclaré religion d'état sur les cendres du défunt empire romain. Mais il se constitua sur le socle de la Torah, ce qui devint pour les chrétiens l’Ancien Testament. La Bible fut pour les chrétiens et pour toute la société occidentale, le fondement de la tradition religieuse, tentant d’effacer tout ce qui avait existé auparavant. Nous verrons un peu plus loin que la kabbale moderne a sû dépasser et transcender ces tendances prosélytes pour aller plus loin que le dogme de l'Église.
Notre propos dans cet ouvrage ne sera strictement ni religieux, ni universitaire. Les deux sont respectables et utiles, mais nous nous situerons dans une perspective hermétiste et moderne, refusant tout dogmatisme lié à ces présupposés.
Nous expliquerons plus loin avec plus de précision ce qu’est la kabbale ou plutôt ce que sont les différentes kabbales développées au cours du temps. Historiquement il est clair que la première kabbale fut celle issue du judaïsme. La Torah fut fixée dans un langage qui devint la langue hébraïque que nous connaissons aujourd’hui. Comme tout texte sacré fondateur d’une religion, la Bible est censée posséder un sens littéral et un sens caché, voilé au regard profane. Il s'agit donc d'un texte symbolique qui possède deux niveaux de réalité : celui du monde des hommes dans lequel il se développe et celui de Dieu duquel il tire son origine et sa justification. Le discours que nous lisons décrivant ces épopées fondatrices d’un peuple guidé, protégé et éprouvé par l’Éternel Dieu, n’est que la surface d’un monde intérieur beaucoup plus vaste. Ouvrir un livre sacré comme la Bible, c’est regarder l’extérieur d’une maison à travers une vitre. Différentes choses se trouvent sur cette dernière : des cristaux de glace resplendissant, des impuretés, des imperfections... La lumière de l’extérieur nous parvient à travers cette vitre et nous permet ainsi de voir ce qui se trouve à sa surface. Cette vitre, comme ce qui s'y trouve est absolument réel. Nous ne saurions en douter. Bien évidemment ces réalités peuvent être changeantes, mais il n’en reste pas moins qu’elles existent. Le texte biblique est à l'image de cette vitre. Mais ce que cette allégorie nous enseigne, c’est que cette surface sensible est l'écran d’une réalité beaucoup plus vaste qui lui donne sa force et sa lumière. Le texte voile un au-delà divin qui illumine le texte. Il convient donc d’aller au-delà du texte pour accéder à cet horizon que nous percevons, pour nous élever à cette divinité. Plusieurs méthodes sont possibles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Kabbale. Nous voyons combien cette image illustre bien l’origine de la littéralité. La kabbale nous incitera à nous servir du texte sacré comme tremplin vers un ailleurs capable d’illuminer ce qui n’aurait été qu’une froide apparence.
Cependant parler de kabbale juive, de kabbale chrétienne, de kabbale hermétiste, etc. c’est déjà spécifier la nature d’un regard et d’une perspective. C’est limiter une orientation vers la réalité qui est au-delà de l’apparence. Si nous reprenons l’image que nous venons d’utiliser, nous comprendrons aisément qu’une maison ne possède pas une seule fenêtre ou une seule vitre. Elles sont en général multiples. Chacune d’elle possède ses imperfections et chacune conduit vers un point de vue apparemment différent de la réalité extérieure. Aucune ne sera supérieure à l’autre, ni même définitive. Que l’une s’appelle la Torah, l’autre le Nouveau Testament, la Baghavad Gita, etc. cela n’a aucune importance en soi, car sa nature de texte sacré vise au même objectif, nous conduire vers des plans divins. Nous pourrions dire qu’un matérialiste nierait qu’il y ait un ailleurs à l’édifice dans lequel il vit. Le dogmatiste ou intégriste considérerait que la fenêtre devant laquelle il se tient est la seule réalité ou du moins qu’elle est la seule garantissant un accès réel à ce plan divin. L’hermétiste, quant à lui, a un point de vue plus large et considère l’existence à partir de ces différents points de vue. Il peut alors choisir celui qui lui correspond le mieux, ou encore utiliser l’un à certains moments et l’autre dans des circonstances différentes. Comment imaginer qu’il ne puisse y avoir qu’une ouverture vers le monde divin et sacré ? Bien évidemment les points de vue sont différents, mais cela n’empêche en rien cette liberté d’être.
La kabbale chrétienne s'inscrit dans cette tradition de la recherche du sens caché. Le christianisme compta des esprits ouverts, soucieux d'aller au-delà du voile et d'engager une réelle recherche de sens, résultat d'un authentique travail intérieur. Leur culture de naissance était biblique et chrétienne. Il fut donc naturel pour eux de se pencher sur ce texte et de l'approfondir pour en dégager le sens occulte. Cette première étape les conduisit à la découverte de la source elle-même, le texte original de la Torah. Toujours soucieux de rechercher le sens occulte, il leur fut naturel de s'adresser à ceux qui véhiculaient cette tradition et y étaient initiés, les kabbalistes juifs. Ils apprirent tout ce qu'ils pouvaient à leur contact, qu'il s'agisse de techniques théoriques ou de certaines pratiques rituelles.
Mais le judaïsme n'en demeure pas moins une religion et les kabbalistes juifs, des ésotéristes et mystiques de cette religion. Or certaines de ces connaissances ne peuvent être transmises qu'à des membres de cette même religion. Il fallait donc choisir : soit se convertir au judaïsme, soit continuer la route par soi-même et constituer une nouvelle forme de cette sagesse. C'est ce que se passa. Ces nouvelles connaissances furent appliquées au message de la religion chrétienne. Cela permit d'en dégager un sens ésotérique et de développer un ensemble de pratiques découlant de ces découvertes. Mais comme toute religion monothéiste, le danger de ces recherches individuelles était réel. L'Église d'alors ne plaisantait pas avec les initiatives pouvant laisser penser que l'autorité du dogme pouvait être remise en cause, ou que la hiérarchie de l'Église pouvait être contournée pour s'élever vers le divin. Il fallut donc que les kabbalistes voilent certaines parties de leurs propos et organisent de petits groupes fermés d'adeptes. On pouvait ainsi développer librement et en toute sécurité les recherches et techniques pratiques découlant de ces découvertes. Ce fut ainsi que la kabbale chrétienne commença à se constituer.
Implicitement on pourrait croire que la kabbale chrétienne s'arrête à cette découverte de l'ésotérisme chrétien. C'est une erreur courante faite par bon nombre de chercheurs ou d'initiés modernes confondant kabbale et dogme monothéiste. Car comme nous l'avons dit plus haut, la kabbale est une grille de lecture, une carte et un système nous permettant d'oeuvrer sur le plan occulte et spirituel.
En réalité les kabbalistes chrétiens surent prendre la distance nécessaire avec le dogme en vigueur. La quête de la vérité, du cheminement intérieur fut pour ces hommes beaucoup plus importante que le respect d'un pouvoir religieux, bien plus temporel que spirituel. C'est pourquoi leurs recherches des origines de leur tradition les conduisirent à remonter au-delà du texte de la Bible, vers les véritables racines de la tradition occidentale et méditerranéenne. Ainsi que l'avaient fait les penseurs de l'antiquité réunis à Alexandrie aux tous premiers siècles de notre ère, l'hermétisme et sa vision intégrante se mit à refleurir. Pythagore devint le père de la kabbale et les anciens mythes purent reprendre leur place naturelle dans cette riche tradition. Le christianisme et ses intuitions positives ne furent évidemment pas niés, mais tout simplement associés à ce qui précédait et placés dans une continuité historique au sein de laquelle rien de ce qui est nouveau ne rejette radicalement ce qui précède. C'est à partir de là que nous pouvons véritablement parler d'une kabbale chrétienne et hermétiste.
Elle donna naissance à une nouvelle expression de la tradition présente dans les académies platoniciennes de la Renaissance, puis un peu plus tard dans la "communauté de Mages" d'Agrippa. Elle permit de transmettre les études et les rites internes de ces courants.
Mais tout ne disparut pas dans la poussière de l'histoire ! L'amitié et la fraternité des adeptes fut à même de constituer une chaîne extrêmement forte et néanmoins discrète qui traversa l'histoire et se manifesta sous diverses formes. Ces initiés placèrent cet important héritage dans différents lieux et groupes susceptibles de les transmettre et de les protéger. Ces dépôts furent effectués sans que ces structures extérieures le sachent, ou même en réalisent l'importance. Ce fut par exemple le cas dans certains degrés occultes de la franc-maçonnerie. Parfois et comme nous le verrons, des Ordres furent constitués, permettant de sauvegarder l'initiation et la méthode propre à cette tradition. Certains ne reçurent qu'une partie de l'héritage, tandis que d'autres étaient capables par leur caractère propre et l'époque de leur manifestation, d'accéder à d'autres aspects de cette riche tradition. Ce furent les traditions théurgiques néoplatoniciennes, la Rose-Croix, le Martinésisme, le Martinisme, l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, etc. Nous les aborderons dans cet ouvrage.
Mais tous les rites ne sont pas destinés à demeurer à l'intérieur des écoles initiatiques. Un certain nombre d'enseignements et de pratiques se doivent d'être régulièrement transmises pour maintenir vivante la flamme du désir chez les chercheurs. C'est ce que nous avons fait dans cet ouvrage. Il est important d'apprendre à saisir l'esprit derrière la lettre. Car les techniques de kabbale ont pour objectif de nous aider à passer de la surface des choses à cet autre plan.
Comme vous le verrez, les pratiques que nous vous transmettrons ici seront une première approche de ce courant et vous permettront de commencer ce travail intérieur qui est, comme les Maîtres de cette tradition le disaient, le premier pas sur le chemin sacré du retour.