ABC de magie sacrée, Introduction
Depuis un peu plus de 1500 ans, le christianisme s’est répandu en Occident et dans toutes les parties du monde. Ses spécificités de conception lui ont permis de développer sa doctrine, jusqu’à en faire le remarquable édifice que nous connaissons. Il est cependant historiquement clair aujourd’hui qu’une grande part de ce qui le compose trouve son origine dans les philosophies, spiritualités et initiations antiques. Cette nouvelle religion ne s'est pas bâtit de toute pièce sur un terrain vierge, loin de là. Pendant plusieurs millénaires, de puissantes civilisations, chaldéenne, égyptienne, grecque puis romaine, construisirent l’essentiel de ce qui fit l’Occident tel que nous le connaissons. Mais les religions antiques ne constituaient pas un ensemble aussi cohérent que celui du christianisme. En effet, chaque tribu, chaque peuple, chaque cité, possédait sa propre divinité ou panthéon. Ce que l’on appelle aujourd’hui le paganisme, n’existait pas dans l’antiquité. N’oublions pas que le paganisme est un mot qui fut inventé pour désigner les paysans qui n’abandonnaient pas assez vite leurs croyances et pratiques traditionnelles et continuaient à honorer leurs Dieux ancestraux. La racine du mot paganisme est donc la même que celle de paysan. Bien évidemment ce qualificatif était très connoté à l’époque et fortement péjoratif. Jusqu’à l’établissement du christianisme, plusieurs visions du monde et de nombreuses divinités pouvaient coexister, sans que l’équilibre de l’univers ne vacille. Tout être était libre de choisir la ou les divinités qui lui correspondaient, ou encore de continuer à honorer celles de sa famille. Chacun pouvait également changer ou adopter une autre divinité, celle d'une cité ou d’un parent. Au sens où nous l’entendons, la religion n’existait pas. Il faudrait parler de relation à l’invisible et aux puissances qui y résident. Il s’agissait avant toute chose de se les concilier, puis de les honorer et les respecter. Mais de là à considérer que les Dieux de sa cité, de sa famille ou sa divinité personnelle étaient les seuls et uniques aurait semblé absurde. L’univers est immense et les êtres humains sont complexes. Il était donc normal qu’il en soit de même du monde divin. L’essentiel résidait dans l’efficacité de la divinité vis-à-vis de soi. Mais cet aspect pragmatique de la pratique religieuse n’était pas le seul. Il existait également deux autres niveaux ou domaines dans lesquels la relation de l’homme au divin pouvait s’exprimer. Il s’agit des cultes des Mystères (qui donnèrent naissance aux Traditions Initiatiques) et de la philosophie. Les Mystères consacrés à telle ou telle divinité étaient secrets et privés. Ce secret fut pleinement respecté au cours de l’histoire, à tel point que l’on ne sait souvent que peu de choses sur ce qui s’y déroulait et sur les connaissances qui y étaient transmises. Cependant, quoique la plupart de ces mystères étaient aisément accessibles, une élite intellectuelle, les reçut. Leurs écrits, récits, hymnes et œuvres philosophiques en furent le reflet. A travers tous ces cultes, une tradition particulière se dessina, que l’on peut appeler Tradition hermétique, Tradition Hermétiste ou désigner sous nom générique d’Hermétisme.
On pourrait considérer comme artificiel le fait de mettre en lumière une telle tradition, laissant ainsi dans l’ombre d’autres courants non moins intéressants. Il s’agit bien d’un choix et comme tel, il est particulier. Mais il nous parait fondamental de remarquer que si d’autres traditions philosophiques ou religieuses ont marqué notre histoire, la tradition hermétiste (ou hermétique) a connu une extraordinaire continuité qui lui a donné une cohésion de concepts, aisément perceptible dès que l’on aborde cette pensée. Nous le constatons aisément lorsque nous lisons les hymnes, prières, ou textes inspirés. Il y a là une claire sensibilité vis-à-vis d’un sacré accessible à tous. Nous nous trouvons au sein d’une longue chaine d’initiés qui fixèrent comme idéal le Beau, le Vrai et le Juste. Les regards tournés vers la lumière et la beauté du cosmos, se réunissent dans cette contemplation divine. L’unité n’est pas forcée ou feinte. Elle naît par une réunion des idéaux et des principes de base communs. Il pourrait être considéré comme artificiel de rapprocher des auteurs tels que Homère de Proclus, mais nous pensons que l’émotion spirituelle perçue, reçue ou vécue est identique pour l’un et l’autre. Nous verrons dans cet ouvrage qu’il existe un ensemble de textes exprimant, tant dans le domaine philosophique, que littéraire ou poétique, un même message qui était véhiculé en grande partie dans les temples et les initiations antiques. C’est le cas plus particulièrement des Mystères orphiques, éleusiaques ou isiaques. Tous véhiculèrent une part de ce qui constitua par agglomération la tradition spirituelle et initiatique de l’ancienne Grèce.
Que se passa-t-il lorsque les temples furent fermés par décret impérial et les écoles philosophiques d’Athènes interdites ? L’enseignement des mystères et de cette tradition se voilà. Cependant cette riche et brillante philosophie se conserva essentiellement sous différentes formes. D’une part, comme une transmission directe, un enseignement de bouche à oreille, indépendant de toute structure, d'autre part, dans les textes qui conservèrent leur richesse. Bien sûr ils disparurent durant des siècles, mais furent redécouverts à la Renaissance italienne. Des cercles furent créés au sein desquels ces connaissances classiques étaient enseignées. Quelques-uns de ces cercles ne se limitèrent pas à l’étude des textes. Ils mirent de nouveau en pratique les antiques préceptes, en leur redonnant vie par la prière, l’invocation et la magie divine ou théurgie.
Pour certains, la magie a aujourd’hui acquis une réputation négative, mêlant superstition et volonté malfaisante. Nous ne sommes plus capables de distinguer la basse magie de la Magie Divine ou Théurgie, percevant la richesse et l’originalité de cette voie traditionnelle. Le monde méditerranéen a donné naissance et transmis jusqu’à aujourd’hui un enseignement théorique et pratique de grande valeur. Cette riche et ancienne tradition s’est épanouie sous plusieurs formes, les unes visibles, les autres symboliques et artistiques, les dernières enfin tout à fait invisibles. Apparues à la fin de l’ancienne Égypte dans le milieu alexandrin et au sein du monde hellénique, les principales écoles philosophiques (pythagoriciennes, platoniciennes et néoplatoniciennes) véhiculèrent de véritables pratiques spirituelles impliquant à la fois la philosophie, les rites cultuels, des rites initiatiques et mystiques. Ces visions du monde marquèrent profondément notre psychisme inconscient. Pour celles-ci, l’univers tout entier se développe dans un ordre bien établi et la conscience de l’homme pourrait en être le point central. Il existe une véritable hiérarchie passant des quatre éléments à l’homme, de celui-ci aux sphères planétaires et enfin aux puissances divines qui sont au-delà de la voute étoilée. Lorsque l’âme descend dans le corps, elle traverse successivement les différentes sphères et porte en elle, depuis ce moment, chaque caractère planétaire dont elle dépend. Notre psychisme conscient et inconscient possède donc ces marques qui nous ont constitués d'une façon spécifique, avec nos équilibres, mais également nos déséquilibres ou dysharmonies. Sous le couvert de certains courants philosophiques, notamment la tradition néo-platonicienne (Plotin, Jamblique, etc.) de véritables techniques magiques ou théurgiques furent transmises. Elles furent réveillées à la Renaissance en Italie et depuis cette époque, se transmirent jusqu’à aujourd’hui, formant le véritable fil d’or de la tradition magique dont parle Homère. Ces techniques (visualisation, rêve éveillé, rites individuels, etc.) permettent d'harmoniser les différents niveaux de notre être et de retrouver une sérénité et un équilibre qui avaient été perdus. Chacun devient alors capable de retrouver sa place dans le cosmos et d’agir volontairement et avec efficacité sur lui-même et sa propre destinée. L'hermétisme et sa pratique magique, utilisent toutes les forces qui sont en l'être humain, en cultivant la beauté, l’amour et le plaisir. L’équilibre et l’harmonie constituent les pôles centraux de cette démarche. C’est donc cette voie et ces pratiques que nous décrivons dans cet ouvrage. Nous indiquerons les repères historiques, philosophiques, mais également les pratiques essentielles nous permettant de faire nos premiers pas dans cette voie de l’épanouissement et de la maîtrise de soi.
Certaines périodes de l’histoire sont particulières. Il y en eut dans le passé (Alexandrie en Egypte et la Renaissance italienne par exemple) et nous pouvons dire que notre société moderne en est une autre. Dans ces moments particuliers, le monde et les consciences semblent s’ouvrir. Les peuples se rencontrent et se découvrent mutuellement. La pensée, les sciences, les courants spirituels se trouvent dans une féconde effervescence. La tolérance et le désir de faire avancer l’humanité mobilisent les consciences. Nous sommes aujourd’hui dans une période du même type. La richesse de proximité des différentes cultures, ce partage et cet échange des traditions spirituelles, ce métissage empreint de tolérance, contribuent à constituer peu à peu une nouvelle culture mondiale. C’est dans cette mouvance que les antiques philosophies, les valeurs morales et les pratiques théurgiques se révèlent dans toute leur force et splendeur. Les Dieux et Déesses parlent à tous et nulle idéologie ne peut prétendre dominer les autres sans effacer la liberté. Car comment pourrait-on respecter la religion ou la vie intérieure de l’autre, si l’on est intimement persuadé qu’il est dans l’erreur, considérant que toute sa vie repose sur des croyances fausses et qu’il convient de l’aider à rectifier pour être sauvé ? Comment de telles perspectives pourraient-elles mener à une vraie tolérance ?
L’étude, la réflexion personnelle sont louables et requises. Toute étude est une prière, un parfum qui monte vers le divin. Ainsi peut-on lire dans Le Corpus Hermeticum : « La vertu de l'âme est la connaissance, car celui qui connaît est bon et pieux et déjà divin. » (C. H. 10:9) Toute recherche du beau corporel, intellectuel et spirituel incarne cet idéal de l’être. On parle souvent aujourd’hui du culte du corps, comme s’il s’agissait de quelque chose de nouveau. Ce n’est absolument pas le cas, ni même les excès engendrés dans le rejet ou l'adoration de l'apparence physique. Le corps est la manifestation de la beauté divine et c’est pourquoi respecter son corps, rechercher la beauté et l’embellissement sont des actes profondément religieux et spirituels. Ils doivent nous permettre de dépasser cette apparence, pour nous élever vers le Beau en lui-même. Puissions-nous alors faire nôtres les mots de Proclus, « Ô Dieux, accordez-moi, par l’intelligence des livres divins et en dissipant l’obscurité qui m’entoure, une lumière pure et sainte, afin que je puisse exactement connaître le Dieu incorruptible et l’homme que je suis. »